L’impôt ne décourage pas d’innover

En France, ailleurs en Europe et aux Etats-Unis, des mesures fiscales comme outil de lutte contre les inégalités font de nouveau grand débat. L’attractivité politique de la taxation des hauts revenus ou de la richesse est évidente, mais elle a des inconvénients. Certains impôts rapportent peu à l’Etat, car le nombre de personnes éligibles est faible ; il est facile d’échapper à d’autres grâce à l’évasion fiscale ; d’autres enfin peuvent décourager des activités économiques efficaces ou innovatrices dont bénéficie l’ensemble de la société.

Ce dernier point a toujours été difficile à évaluer de façon empirique. Sans preuves sur la réalité des comportements des innovateurs face à l’impôt, comment trancher le débat entre ceux qui prônent une augmentation de la taxation et ceux qui craignent ses éventuels effets contre-productifs ?

Une étude américaine nous aide à comprendre certains de ces enjeux (« Do Tax Cuts Produce More Einsteins ? The Impact of Financial Incentives versus Exposure to Innovation on the Supply of Inventors », par Alexander M. Bell, Raj Chetty, Xavier Jaravel, Neviana Petkova et John van Reenen, NBER Working Paper n° 25493).

La distribution de revenus entre inventeurs est asymétrique

Cette étude est le fruit d’un énorme travail empirique qui a consisté à croiser des informations sur l’activité scientifique de 1,2 million de détenteurs de brevets et des informations tirées de leurs déclarations fiscales, afin d’éclairer la relation entre les revenus de ces « inventeurs » et leur activité innovatrice.

Le premier constat des auteurs est que la distribution de revenus entre inventeurs est très asymétrique : le 1 % des plus riches gagne 22 % du total des revenus. Ensuite, ces revenus sont très fortement corrélés avec le nombre de citations par brevet dans les revues académiques et techniques, ce qui semble indiquer que la valeur sociale des inventions est relativement bien récompensée par les revenus de leurs inventeurs.
Les auteurs ajoutent que les inventeurs sont en moyenne plus productifs à l’âge d’environ 38 ans, et que leurs revenus augmentent déjà de manière importante avant l’obtention de leurs brevets. Ces revenus sont issus d’un ensemble d’activités commerciales et économiques, et pas seulement des brevets en question : les droits d’auteur constituent un faible pourcentage du montant global.

Ces observations semblent indiquer que le risque de voir une augmentation d’impôts décourager des innovations importantes est faible. Celles-ci proviennent en effet d’un petit sous-ensemble d’inventeurs qui sont déjà très bien récompensés, et qui seraient encore très aisés même s’ils payaient beaucoup plus d’impôts.

Capacité des entreprises à mettre en œuvre les inventions

Dans une étude précédente, les mêmes auteurs avaient démontré que la probabilité qu’un individu devienne inventeur est très influencée par l’environnement dans lequel il a vécu dans sa jeunesse. En particulier, les personnes qui emménagent pendant leur jeunesse dans des quartiers habités par d’autres inventeurs voient très sensiblement augmenter la probabilité de devenir inventeurs à leur tour.

On peut en déduire que beaucoup d’individus n’arrivent jamais à réaliser leur potentiel d’innovateur en raison d’un manque de soutien dans leur environnement social ou scolaire. Ce qui conduit les auteurs à conclure que, pour encourager l’innovation, il est plus efficace de veiller à la création d’un tel environnement que de mettre en place des incitations fiscales.

Certes, la productivité de la société dépend non seulement des inventions, mais aussi de la capacité des entreprises à les mettre en œuvre. Il est possible que les impôts puissent décourager la diffusion des innovations, bien qu’ils n’aient pas d’impact majeur sur leur création. Mais, à ce jour, il apparaît que l’effet de découragement que l’on pourrait craindre d’une augmentation des impôts sur le niveau d’innovation économique n’est pas confirmé par les preuves disponibles.

 

Article publié dans le Monde, 9 février 2019

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