Le confinement, terrain de jeu rêvé pour le chercheur qui travaille sur les impacts de Facebook

Le confinement est un terrain de jeu rêvé pour les chercheurs, explique dans une chronique l’économiste Paul Seabright.

Chronique. En étant confinés ces dernières semaines, nous avons tous été soumis à une manipulation expérimentale à très grande échelle. Vous prenez des êtres humains et vous leur imposez le stress économique, la peur de la maladie, la présence vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur
sept de leur famille, la proximité en permanence du frigo, une avalanche de vidéos, de chats sur WhatsApp, et aucune obligation d’éteindre Facebook – et ça donne quoi ?
Même si nous savions comparer l’avant et l’après, la causalité resterait opaque : non seulement tous les traitements sont simultanés, mais il n’y a pas de «groupe de contrôle» – c’est-à-dire de sujets qui n’ont pas subi ce traitement.

Il y a pourtant des questions importantes, en dehors des questions sanitaires, auxquelles cette «expérimentation» pourrait répondre. Peut-on avoir des échanges économiques productifs sans se déplacer autant qu’avant ? Les réunions en «présentiel» sont-elles toutes nécessaires si on a Skype ou
Zoom ? Les réseaux sociaux sont-ils addictifs, et cette addiction peut-elle nuire à notre équilibre mental ?
Heureusement, certains chercheurs ont pensé à mettre en oeuvre des expériences plus ciblées qui nous éclairent sur ces questions – par exemple sur les effets d’un sevrage de Facebook sur le comportement et le bien-être d’un échantillon d’utilisateurs américains, juste avant les élections de mi-mandat de 2018
(«The Welfare Effects of Social Media», Hunt Allcott, Luca Braghieri, Sarah Eichmeyer et Matthew Gentzkow, American Economic Review n° 110/3, 2020).

Quatre types d’impacts

Les auteurs ont recruté un échantillon de 1 661 utilisateurs américains qui s’étaient déclarés prêts à éteindre Facebook pendant une période de quatre semaines contre un paiement de 102 dollars. La moitié ont reçu une demande de désactivation, avec vérification automatique du lien à leur page, l’autre
moitié ont continué comme avant.
Les chercheurs ont enquêté sur quatre types d’impacts : les autres activités qui ont rempli le temps occupé auparavant par Facebook, le suivi des informations politiques, le sentiment de bien-être à la fin de l’expérience, et l’impact sur l’utilisation de Facebook dans les semaines suivantes.

Premier constat : quand Facebook s’éteint, les gens passent davantage de temps avec leurs proches, et non pas à d’autres activités en ligne.
Deuxième constat, les gens s’intéressent moins à la politique.
Troisième constat, ils disent que leur bien-être a augmenté. Et même plusieurs semaines après, ils utilisent beaucoup moins Facebook et semblent contents de cet état des choses. Cela semble conforter l’hypothèse que Facebook a des propriétés addictives – on s’en sert volontairement, même si in fine ça
ne nous rend pas forcément plus heureux.

Des leçons pertinentes

Les leçons pour notre période de confinement sont pertinentes. Est-il utile pour tous ces cadres supérieurs et ces hauts fonctionnaires de prendre l’avion pour se rendre à une réunion « essentielle » en province, à Paris ou à l’étranger ? Ne serait-il pas mieux, pour leur équilibre mental comme pour leur
empreinte de carbone, de rester chez eux ?

Imaginez, par exemple, une expérience menée par des chercheurs avec la collaboration de contrôleurs aériens. Ceux-ci annuleraient de manière totalement aléatoire un certain nombre de vols, empêchant ainsi hommes et femmes d’affaires et hauts fonctionnaires d’assister à leurs réunions, quitte à substituer une présence téléphonique ou télévisuelle à leur présence réelle.
Les chercheurs noteraient l’impact sur les émissions de carbone, la productivité des entreprises, le bienêtre des cadres. On verrait si finalement toutes ces réunions auraient été aussi importantes et productives que cela…
Mais non, le scénario est totalement improbable ; les contrôleurs aériens n’accepteraient jamais.
Certaines hypothèses resteront en permanence inaccessibles à la science expérimentale…

Paul Seabright (Institut d'études avancées de Toulouse)

Article publié dans Le Monde du 6 mai 2020

 

 

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