Qu’est-ce qui conduit les soldats à se battre pour leur pays?

Qu’est-ce qui conduit les soldats à se battre pour leur pays ? Il serait tentant de faire appel à des sentiments de solidarité, présents depuis l’aube des temps en raison de leur contribution à la survie des communautés.

Même si cette explication a une part de vérité, il reste difficile de comprendre pourquoi nos sentiments de solidarité peuvent nous conduire à nous sacrifier pour une collectivité aussi grande et abstraite que l’Etat-nation, qui n’existe que depuis quelques centaines d’années.

La montée de l’Etat-providence, depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, a suivi de peu l’arrivée de la guerre de masse, où de grandes armées composées d’une proportion importante de citoyens s’affrontaient dans les plaines d’Europe.

L’Etat-providence

Certains y voient une relation assumée, issue de la conscience des leadeurs politiques que leur capacité à mobiliser de fortes armées ne pouvait s’appuyer uniquement sur des obligations, comme par le passé : les Etats modernes devaient désormais créer, par l’Etat-providence, un sentiment de partage des fruits de la modernisation entre leurs populations. Mais est-on certain que ce sentiment ait conduit à l’effet escompté ? L’Etat-providence a-t-il vraiment augmenté la volonté des citoyens à se battre pour leur pays ?

Un document de travail du Centre for Economic Policy Research (CEPR) https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3149477 donne un début de réponse en examinant l’expérience du New Deal, aux Etats-Unis, dans les années 1930 (« From Welfare to Warfare : New Deal Spending and Patriotism During World War Two », Bruno Caprettini, Fabio Schmidt-Fischbach et Hans-Joachim Voth, CEPR Discussion Papers n° 12807).

A partir de 1933, les dépenses de l’Etat pour aider la population en détresse après la crise de 1929 ont considérablement augmenté, à commencer par les subventions aux agriculteurs, puis, deux ans plus tard, aux chômeurs, aux personnes âgées et aux mères isolées. Les auteurs montrent une forte corrélation régionale entre le niveau de ces dépenses par habitant, et trois indicateurs du niveau de patriotisme pendant la seconde guerre mondiale : le nombre de soldats volontaires, le nombre d’achats de War Bonds (titres d’épargne à faible rentabilité destinés à financer les dépenses de la guerre) et… le nombre de médailles gagnées au combat.

Une simple corrélation ne veut pas dire que les dépenses de l’Etat ont eu un impact sur le niveau de patriotisme : ces deux phénomènes pourraient être le résultat d’autres facteurs non observables, comme la condition économique sous-jacente de la région en question. Les auteurs ont donc fait des tests supplémentaires pour vérifier la causalité.

La menace de la mondialisation

D’abord, ils ont montré que les subventions en faveur des agriculteurs ont été fortement influencées par les épisodes de sécheresse et que, dans ces zones, la réponse patriotique a été particulièrement marquée. Ensuite, ils ont montré que ni les épisodes de sécheresse ni les dépenses en faveur des agriculteurs n’avaient en revanche été corrélés avec le niveau de patriotisme pendant la première guerre mondiale. On ne peut donc pas supposer que certaines régions aient été durablement patriotiques, ou qu’elles aient bénéficié d’un soutien particulier de l’Etat après 1933.

La causalité ne peut pas être certaine dans ce genre d’études où il n’est pas possible de revenir dans le passé pour interroger les acteurs de l’époque… Mais cette étude, la première à se pencher sur la question, sera sans doute suivie d’autres. L’intérêt de cette hypothèse est aujourd’hui pertinent, car l’Etat-providence semble menacé par la mondialisation qui rend les citoyens et les entreprises plus mobiles et les inégalités plus profondes, mais aussi par certains courants idéologiques. En l’absence d’un projet national assumé, d’autres types de loyauté – ethnique, religieuse ou politique – peuvent remettre en question la capacité de l’Etat à commander le sacrifice des citoyens lorsque survient l’affrontement militaire…

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