Le mauvais procès fait à la mondialisation

La crise sanitaire a remis au premier plan le débat sur la globalisation. Certains font un étrange amalgame entre une pandémie se répandant dans le monde au gré des échanges et les méfaits de la globalisation. Pourtant, bien avant la mondialisation, l’épidémie de peste noire autour de 1350 avait fait environ 25 millions de morts rien que sur le continent européen. Entre 30 et 50 % de la population de l’époque avait disparu. Les épidémies de choléra et de variole eurent elles aussi des conséquences dévastatrices tout au cours de l’histoire. Certes, les liens internationaux peuvent accélérer et même exceptionnellement créer des épidémies (les colons amenèrent avec eux des maladies, comme la variole, qui entraînèrent une forte chute démographique des Indiens d’Amérique). Mais il est impossible de se protéger des épidémies en abandonnant la globalisation, même en se transformant en Corée du Nord. D’autres y voient une occasion de revisiter la chaîne de valeur ou prônent un interventionnisme accru en matière industrielle. Que devons-nous en penser ?

Disruption des chaînes d’approvisionnement

La crise sanitaire a souligné un coût rare mais non négligeable de la globalisation : la disruption des chaînes d’approvisionnement pour les fournitures médicales et les tests ainsi que pour différents biens d’équipement et de consommation. Cette disruption illustre les limites de la spécialisation internationale ; tel composant fabriqué en Chine ou en Italie peut bloquer toute une filière industrielle, tel ingrédient peut empêcher la fabrication de tests du Covid-19.
Devons-nous remettre en cause la globalisation et si oui comment ? La réponse à cette question est nécessairement politique, mais l’économiste peut apporter quelques éléments de réflexion. Il me semble que ces disruptions de chaîne d’approvisionnement sont particulièrement coûteuses socialement dans le cas des fournitures essentielles, celles qui affectent de façon importante la défense, la réaction à des crises sanitaires ou l’approvisionnement en aliments de base. L’intervention publique est moins pertinente pour les biens de consommation courante : si un fabricant d’automobiles, de smartphones ou de jouets ne s’approvisionne pas de façon suffisamment diversifiée et ne constitue pas de stocks suffisants (économisant trop en pratiquant un « just-in-time » excessif), il perdra des parts de marché par rapport à ses concurrents et n’aura que ses yeux pour pleurer. Gageons que, suite au Covid-19, les acteurs du secteur privé engageront de nouvelles réflexions quant à la diversification de leur approvisionnement. Un exercice non trivial : le risque de disruption d’approvisionnement était en Chine en janvier, en France aujourd’hui.

Vers un nouveau protectionnisme

Je ne crois pas que les revendications d’une grande partie de la population pour une augmentation du pouvoir d’achat s’accommoderaient d’une perte importante de pouvoir d’achat due à la fermeture des frontières, qui s’ajouterait à celle liée à la crise économique à venir ! Grâce à la globalisation, en effet, les consommateurs ont accès à de nouveaux biens et services produits dans le monde entier ; et ils peuvent acquérir les biens déjà produits dans le pays à
plus bas prix, car ils ne sont plus captifs des monopoles domestiques, et bénéficient de coûts de production plus bas dans des pays exportateurs. Ces derniers, eux, peuvent se développer économiquement et sortir de la pauvreté,comme la Chine l’a fait de façon spectaculaire depuis 1980. Sans oublier que la France bénéficiera des traitements et vaccins contre le Covid-19 qui seront conçus dans le monde entier !

Savoir raison garder
Comme toujours, le choix n’est pas entre globalisation ou pas, mais de savoir comment combattre les effets pervers de la globalisation. Pour ressasser l’évidence, les importations en provenance des pays à faible coût de main-d’oeuvre infligent des dégâts dans les secteurs concurrencés ; des entreprises ferment, des salariés perdent leur emploi. En théorie, ces salariés doivent être compensés pour leurs pertes (au moins économiques), mais en pratique, ils le sont souvent insuffisamment, surtout aux Etats-Unis. Et si des emplois se créent (il s’en crée toujours), ils peuvent se créer dans d’autres régions et d’autres secteurs, nécessitant éventuellement reconversion et déménagement pour les salariés concernés.
Moins familière est la nécessité pour l’Etat de réfléchir au circuit d’approvisionnement afin de veiller, dans l’exercice de ses fonctions régaliennes, à la
protection et à la survie de ses citoyens en période de grave crise sanitaire, alimentaire ou militaire. Il devra le faire avec flexibilité et sans a priori ; par exemple, l’impression 3D et le développement de logiciels libres pourraient permettre une réponse nationale, voire locale, aux pénuries de tests ou de ventilateurs venant de l’étranger. Enfin, l’Etat doit se limiter à ce qui est nécessaire et résister aux lobbys qui ne manqueront pas de quémander soit une protection, soit un traitement de faveur dans les achats publics sous prétexte que leur activité est « essentielle ».

Copyright Les Echos